I
— Pourrais-je te parler un instant, Esa ?
Esa tourna la tête vers Henet qui, un sourire engageant sur les lèvres, se tenait debout sur le seuil de sa chambre.
— De quoi s’agit-il ? demanda-t-elle d’un ton peu amène.
— Ce n’est pas grave, du moins je ne crois pas, mais j’ai pensé qu’il valait mieux te consulter…
Esa lui coupa la parole.
— C’est bon ! Entre.
Donnant un très large coup de canne sur l’épaule de la petite esclave noire, occupée non loin d’elle à confectionner un collier de perles de verre, elle ajouta :
— Toi, file à la cuisine et rapporte-moi quelques olives et un peu de jus de grenades.
La petite disparue, Esa se tourna vers Henet.
— Alors ?
— Il s’agit de ceci…
Henet présentait à Esa un coffret à bijoux, dont le couvercle glissait dans une rainure double.
— Et alors ?
— C’était à elle ! Je viens de le trouver dans sa chambre.
— De qui parles-tu ? De Satipy ?
— Non, non, Esa. De l’autre !
— De Nofret ? Alors ?
— Tous ses bijoux, tous ses vases d’onguent, tous ses flacons de parfums ont été enterrés avec elle…
Esa fit glisser le couvercle du coffret. Il n’y avait à l’intérieur qu’un collier de corail et la moitié d’une amulette verte qui avait été cassée en deux.
— Tout ça n’a pas grande valeur, déclara Esa. On l’aura oublié…
— Mais les embaumeurs ont tout emporté.
— Les embaumeurs ne sont pas plus consciencieux que les autres. Le coffret leur aura échappé…
— Mais puisque je te dis, Esa, qu’il n’était pas dans sa chambre la dernière fois que j’y suis allée !
Esa s’impatientait.
— Oh veux-tu en venir ? Voudrais-tu insinuer que Nofret est revenue du royaume des Ombres pour déposer ce coffret dans la maison ? Tu n’es pas complètement idiote, Henet, bien qu’il t’arrive de faire semblant de l’être. Quel plaisir prends-tu donc à répandre de pareilles sornettes ?
Henet hochait la tête d’un air entendu.
— Nous savons tous comment Satipy est morte et pourquoi.
— C’est possible ! répliqua Esa. Et il y en a peut-être parmi nous qui en savent beaucoup plus long encore, n’est-ce pas, Henet ? J’ai toujours eu dans l’idée que tu es bien mieux informée que n’importe qui des circonstances qui ont amené la mort de Nofret.
— Oh ! Esa ! Tu ne penses pas…
La vieille femme ne laissa pas Henet poursuivre.
— Et pourquoi ne penserais-je pas ? Je n’ai pas peur de penser, Henet. J’ai vu Satipy se faire toute petite pendant ces deux derniers mois, comme une femme morte de peur, et, depuis hier, je me dis qu’il se pourrait très bien que quelqu’un, ayant découvert son secret, l’eût menacée d’aller le révéler soit à Yahmose, soit à Imhotep lui-même !
Henet poussa de vigoureuses et perçantes clameurs de protestation. Esa, les yeux fermés, se renversa dans son fauteuil et reprit, très calme :
— Je n’ai jamais supposé un instant que tu reconnaîtrais ça et je ne te le demande pas.
— Pourquoi le reconnaîtrais-je ? Peux-tu me le dire ? Pourquoi aurais-je menacé Satipy ?
— Je n’en ai pas la moindre idée, Henet. Le mobile de tes actions m’échappe souvent.
— Tu supposes sans doute que je voulais qu’elle m’achetât mon silence ? Je jure par les neuf dieux…
— Laisse donc les dieux tranquilles, Henet. Tu es suffisamment honnête, étant donné ce qu’on entend aujourd’hui par le mot « honnêteté », et il est très possible que tu n’aies rien su des causes de la mort de Nofret. Mais tu sais à peu près tout ce qu’il se passe dans cette maison et je jurerais volontiers que c’est toi qui as déposé ce coffret dans la chambre de Nofret, encore que je sois bien incapable de deviner pourquoi. Tu l’as fait pour un motif que je ne soupçonne pas, mais il existe !… Tu peux rouler Imhotep avec tes petits trucs, Mais pas moi. Arrête de pleurnicher, veux-tu ? Je suis une vieille femme et j’ai horreur de ça. Va geindre chez Imhotep. Il aime ça et Râ, seul, doit savoir pourquoi.
— Je vais porter ce coffret à Imhotep et je lui dirai…
— Ce coffret, je le lui remettrai moi-même. Retire-toi et cesse de propager des fables. La maison est beaucoup plus tranquille depuis la disparition de Satipy et Nofret a plus fait pour nous depuis qu’elle est morte que de son vivant. Aujourd’hui, la dette est payée. Laisse les gens retourner à leur tâche quotidienne !